lundi

La vie [vraiment] en rose ?

« Des yeux qui font baisser les miens
Un rire qui se perd sur sa bouche
Voilà le portrait sans retouche
De l'homme auquel j'appartiens… »


Nouvelle Gamme LEGO pour Filles 2011


Au XIXème siècle le rose, proche du rouge symbole de virilité, était assigné aux garçons, et le bleu, signe de virginité, aux filles.  Signe que rien n’est immuable, la question de la couleur ou du neutre dans les vêtements pour enfants n’a cessé d’évoluer avant que le rose, merci Barbie, ne devienne pour plusieurs décennies l’incontournable couleur des filles.

Avec le gender-marketing, les marques ont vu la possibilité de démultiplier les ventes de leurs produits en formulant des offres filles/garçons ou femmes/hommes.  Une opportunité pour investir plus d’espace dans les linéaires, partant du principe que femmes et hommes consomment différemment.   

Cette démarche, certes lucrative, est fâcheuse à bien des égards.  

Dans une structure sociétale ou les rôles sont « dualisés » depuis des générations, le marketing de genre n’a fait que renforcer les stéréotypes, voire les caricaturer.  En prétendant satisfaire les besoins des « elles » et des « autres », les marques ont fait le jeu du conservatisme paternaliste et ont accentué le clivage inégalitaire entre les femmes et les hommes.

Après un demi-siècle de princesses insouciantes, compléments d’objets de leurs audacieux chevaliers, le marketing de genre serait-il enfin battu en brèche ?

En décembre dernier, une vidéo faisait le buzz sur Internet relayée par plusieurs millions d’internautes à travers le monde.  Du haut de ses 4 ans, une militante en herbe s’insurgeait contre la vague rose des supermarchés du jouet,  « Il y a des filles qui aiment les superhéros, d’autres qui aiment les princesses, certains garçons aiment les superhéros, et d’autres aiment les princesses.  Alors pourquoi les filles doivent acheter des trucs roses, alors que les garçons peuvent acheter des trucs de toutes les couleurs ? »
Une bouffée d’oxygène après le retour en force d’un certain conservatisme post 68 qui a fait la part belle au couple idéal et aux rôles bien assignés.  


Au même moment, Lego qui n'avait jamais vraiment joué la carte de la différenciation auparavant - voir sa campagne pub en 1981 - faisait l’objet d’une pétition dénonçant le sexisme de sa nouvelle gamme « pour filles ».  « Une étude nous a montré que les filles ne représentent que 20% des enfants qui achètent LEGO, nous voulions toucher les autres 50% de la population mondiale » s’est justifié Jorgan Vig Knudstorp PDG de LEGO.  Un peu court, pour Stephanie Cole, 22, fondatrice du mouvement  SPARK qui lutte contre les jouets sexistes, et Bailey Shoemaker Richards, à l'initiative de cette pétition. Cette explication est biaisée expliquent-elles.  « Les instituts d’études ont omis de préciser que les fameux LEGO ne sont disponibles que dans l’allée des jouets dédiée aux garçons, et que conditionnées par des décennies de vague rose et de "pousse au mièvre", les petites filles se rendent peu dans les autres allées du magasin.»

Campagne LEGO 1981
Alors qu’en est-il vraiment ?  Enfermé dans les codes de genre, le marketing peut-il revoir sa copie et définir d’autres critères de segmentation?  Plus complexes, plus en phase avec les attentes d’une société en transformation ?
L’avènement des réseaux sociaux, nos préoccupations centrées sur le vivre ensemble et le vivre mieux vont-elles faire tomber les structures patriarcales qui ont construit nos codes et nos législations depuis la révolution industrielle ? Est-ce encore la dualité qui définit nos relations ? Ou bien un ensemble de tissus et réseaux qui se superposent?  

Avec « Ni masculin, ni féminin, juste humains ! » Faith Popcorn* annonce la génération "En-Gen" soit ENd of GENder : la fin de la guerre des sexes.  

L’évolution de notre territoire, qui navigue entre réel et virtuel requalifie notre environnement et le rôle que nous y jouons.  Le paysage a changé, la mobilité a modifié les cartes et nos frontières sont dématérialisées.  Femme ou homme, je peux appartenir à plusieurs villages et ce n’est pas tant mon sexe qui me définit que l’édifice que je construis dans ce nouveau paysage.
Nous ne sommes plus ce que l’on nous dicte mais ce que nous décidons être.  Pièces d’un « lego » intemporel, nous nous définissons individus au sein de communautés qui échangent, évoluent, se surimposent.  
Dans ce nouvel univers chacunE choisit ses cadres et ses codes et questionne des infrastructures anciennes en panne de réponses face aux évolutions sociétales. 

scenography-expanded amsterdam school of the arts

En termes de communication produits, cette nouvelle donne conduit consommatrices et consommateurs à prendre en compte  d’autres facteurs constitutifs de l’intérêt d’une marque.  Son design, son histoire, l’engagement de l’entreprise ou encore la « durabilité » du produit.  Et ces éléments, non genrés, au même titre que la technicité ou le prix, doivent être évalués très sérieusement par les agences de marketing.

Face à cette génération "No Gen" , la forteresse "rose"  ne saurait résister longtemps aux aspirations de variété, de diversité, d’adaptabilité.  
Et puis, objectivement.  En finir avec la dualité des sexes n’est pas céder à la neutralité.   Ce n’est pas opter pour le gris, encore qu’il y ait de très beaux gris.  C’est au contraire s’ouvrir à une culture de la différence ou chacunE choisira, ses couleurs, ou son neutre. 

Répondre aux aspirations d’individus d’un autre genre ne sera pas facile.  Nous entrons dans une nouvelle ère.  Celle d’une culture choisie et non d’une culture subie.  Le marketing toujours en quête de segmentation de marché devra faire face à ce nouveau défi. 

Opportunité ? 

*Papesse des nouvelles tendances marketing